L’Etat chilien et l’application de la loi anti-terroriste mis en cause par des Mapuche devant la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme

source: el ciudadano.cl

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Les 29 et 30 mai derniers, la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme menait les audiences concernant la première affaire portée devant cette instance par des Mapuche accusés de terrorisme dans le cadre des conflits territoriaux-environnementaux qui opposent des communautaires mapuche à l’Etat, à des transnationales et à des propriétaires terriens, concernant la propriété actuelle de terres ancestrales mapuche et l’exploitation de leurs ressources naturelles.

Une semaine auparavant, au cours de son discours présidentiel du 21 mai, le Président Sebastian Pinera se réjouissait de disposer « d’une législation anti-terroriste de standard international qui protège de façon efficace notre société d’un fléau si cruel et inhumain qu’est le terrorisme ». (traduction libre de l’auteure)

 L’affaire en question, qui avait été présentée à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme en 2004, concerne sept Mapuche et une militante chilienne (Segundo Aniceto Norín Catrimán, Pascual Huentequeo Pichún Paillalao, Florencio Jaime Marileo Saravia, José Huenchunao Mariñán, Juan Patricio Marileo Saravia, Juan Ciriaco Millacheo Lican, Patricia Roxana Troncoso Robles et Víctor Manuel Ancalaf Llaupe) qui avaient été jugés et condamnés en vertu de la loi antiterroriste chilienne durant les années 2001 et 2003, pour les cas « Lonkos Pichún y Norin »,  « Victor Ancalaf », et  « Poluco-Pidenco », sous le mandat présidentiel de Ricardo Lagos.

 Cas « Victor Ancalaf » : Il avait pris part à des actions pour protester contre des barrages dans la région du Bio Bio. Il avait été condamné à cinq ans de prison. « Dans les années 1997-98, j’ai fortement soutenu ce qu’il s’est passé dans le haut Bio Bio, avec le barrage hydroélectrique Ralco, où 15 000 hectares de terres ont été usurpés, et une douzaine de nos sites sacrés ont été inondés, relate M. Ancalaf. J’ai été arrêté, et incarcéré en 2002, accusé d’avoir incendié des camions, et condamné en vertu de la loi « pinochettiste » antiterroriste 18 / 314. Moi, j’ai été condamné non pas comme auteur matériel, mais pour participation présumée à ces faits. » (source http://www.rfi.fr)

 Cas « Longko Norin et Pichun » : les Longko Segundo Aniceto Norín Catrimán  et Pascual Huentequeo Pichún Paillalao avaient été condamnés à 5 ans et un jour de prison pour les délits d’incendie et de menaces terroristes « formulées » en décembre 2001  à l’encontre des actuels propriétaires et administrateurs de trois champs dans le sud.

 Cas « Poluco-Pidenco » : Florencio Jaime Marileo Saravia, José Benicio Huenchunao Mariñán, Juan Patricio Marileo Saravia, Juan Ciriaco Millacheo Lican et Patricia Roxana Troncoso Robles avaient été condamnés à une peine mínimum de 10 ans comme auteurs d’incendie terroriste.

 A l’encontre de ces jugements, les condamnés ont saisi l’instance interaméricaine des droits de l’Homme afin de juger l’Etat chilien pour discrimination, utilisation abusive de la loi antiterroriste, et irrégularités lors des procès, notamment l’utilisation par l’accusation de témoins protégés, dont n’ont été révélés ni le nom ni le visage. A l’égard de cette loi, Jimena Reyes de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, avocate des parties au procès régional, précise que « ces lois antiterroristes datent de Pinochet, avec des définitions bien trop larges, car elles étaient justement faites pour cibler des militants. (…) Cette loi doit donc absolument être révisée. » (source  de la citation : http://www.rfi.fr ).  (Pour plus d’informations sur la procédure présentée en 2004 devant la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme et les critiques internationales portées contre la loi anti-terroriste chilienne, voir un précédent post sur ce blog).

Juan Pichun à l’audience, fils du défunt Longko Pascual Pichun, partie à la demande,  Source : http://www.observatorio.cl/node/9201

Juan Pichun à l’audience, fils du défunt Longko Pascual Pichun, partie à la demande,
Source : http://www.observatorio.cl/node/9201

Les tenants du procès sont résumés au sein d’un article de Véronique Gaymard publié sur « http://www.rfi.fr » dont est reproduit ci-dessous un extrait:

 « Certains dirigeants mapuche ont écopé de peines allant de cinq à dix ans de prison. Un procureur avait même réclamé dans un cas jusqu’à 100 années d’emprisonnement. Selon Nancy Yáñez, codirectrice de l’Observatoire citoyen au Chili -qui suit ces cas de près-, ceci montre « la discrimination envers le peuple mapuche, surtout lorsqu’on compare cela aux peines infligées à ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité dans notre pays, qui ne dépassent pas les vingt ans de réclusion, ce qui signifie une disproportion dans l’application de la justice. »

 La loi antiterroriste toujours en vigueur, les jeunes Mapuche se radicalisent

La répression a eu pour effet de radicaliser la jeune génération mapuche. Un groupe a mis le feu à une maison en janvier dernier, causant la mort d’un couple d’agriculteurs âgés dont les terres étaient réclamées par la communauté, ce qui a provoqué une onde de choc au Chili. Mais selon Nancy Yáñez, la loi antiterroriste est inappropriée : « Si des actes de violence sont commis, il faut bien sûr que la responsabilité pénale soit établie, mais selon les lois qui s’appliquent à tous les citoyens chiliens, et non pas de façon discriminatoire contre le peuple mapuche pour réprimer leurs revendications politiques. »

Plusieurs Mapuche incarcérés avaient observé une longue grève de la faim en 2010. L’Etat chilien avait alors promis de réviser la loi antiterroriste. Mais jusqu’à présent, rien n’a changé, explique Jimena Reyes de la FIDH : « L’Etat avait promis de réformer la loi, il y a eu des discussions, des projets de révision ont été présentés au Sénat, mais ils ne sont pas passés. Puis l’Etat a changé son fusil d’épaule et a recommencé à appliquer ces lois antiterroristes. Cette politique répressive a contribué à radicaliser les choses. La jeune génération est dépitée, haineuse et plus violente. L’Etat n’a pas su accompagner ce mouvement. Au contraire, il a causé de très grandes frustrations. »

 Les Mapuche attendent des réparations « en terres »

Avec ce procès qui s’ouvre à la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme au Costa Rica, les Mapuche attendent des réparations de l’Etat chilien. « Ils veulent une reconnaissance des violations à leur encontre, et de leur gravité, ce qui conduirait à une véritable réforme de la loi antiterroriste, explique Jimena Reyes. Les victimes sont des dirigeants spirituels de leur communauté, qui revendiquent leur droit à leurs terres ancestrales. C’est pour cette raison qu’elles demandent à être réparées « en terres ». »

La jurisprudence de la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pourrait être suivie pour d’autres situations sur le continent américain. « La jurisprudence de la Cour Interaméricaine est très ouverte aux particularités autochtones et on espère qu’elle comprendra que pour les Mapuche, c’est la terre qui compte. »

Du côté de la défense des Mapuche devant la Cour, Jimena Reyes dit aussi demander que « les procureurs et les juges qui ont contribué à cette grave discrimination soient sanctionnés. Car aujourd’hui encore, cette loi antiterroriste est utilisée à l’encontre de Mapuche par les mêmes acteurs qui agissent avec beaucoup d’idées préconçues. »

 A la fin de l’audience, les magistrats formulèrent des questions aux représentants de l’Etat, aux avocats des victimes et de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme et octroyèrent un délai d’un mois, d’ici fin juin pour répondre par écrit à ces requêtes.

 Le jugement final de la Cour devrait être rendu fin 2013, début 2014.

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Pour plus d’informations : est disponible sur le net une ample documentation relative aux audiences, notamment :

Les vidéos des audiences :

Audience publique, Caso Norín Catrimán y otros Vs. Chile.

Un entretien audio auprès de l’avocate Nancy Yáñez (source : radiotierra.cl)

Des articles :

« L’Etat chilien devant la justice pour violations des droits des Mapuche », par  Véronique Gaymard

 Finaliza juicio Pueblo Mapuche contra Estado chileno en la Corte interamericana de Derechos Humanos, par Mapuexpress

 « Para finales del 2013 o inicio del 2014 se espera sentencia de juicio contra el Estado chileno », par la FIDH

 Sourcesmapuexpress.netrfi.frradiotierra.clObservatorio Ciudadanoel ciudadano.cl, et le blog SOGIP.

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