CIDH : dernières préoccupations sur la situation des peuples autochtones et afrodescendants en Amérique latine

Dans un communiqué de presse daté du 8 novembre 2013, la Commission Interaméricaine des Droits Humains fait état de ses dernières préoccupations exposées lors de sa 149ème session (8-22 novembre 2013). Certaines concernent la situation des peuples afrodescendants et autochtones et sont présentées en ces termes dans l’annexe au communiqué (traduction libre de Laurent Lacroix) :

La Commission exprime sa préoccupation face à l’absence de comparution de l’État d’Équateur aux audiences sur le droit à la liberté d’expression et d’association et sur le droit à la consultation préalable des peuples autochtones dans ce pays.

(…)

La CIDH a reçu une information préoccupante sur la criminalisation des actions réalisées au Brésil par les défenseurs du peuple et les défenseurs autochtones, tribaux et afrodescendants, en particulier celles concernant l’activité de défense des territoires ancestraux et des droits autochtones. Elle a également reçu une information sur un mécanisme utilisé par l’État du Guatemala pour criminaliser les défenseurs des peuples qui consiste en l’ouverture de procès pénaux sans fondements afin de freiner l’activité de défense de la personne ou de générer un effet d’intimidation.

Situation des personnes afrodescendantes

La commission a reçu une information sur la discrimination persistante et systématique à l’encontre des afrodescendants en Amérique latine et dans la région des Caraïbes. La commission a reçu en ce sens des informations statistiques et d’autre nature sur les niveaux disproportionnés de pauvreté et de mortalité infantile mais aussi sur d’autres violations des droits économiques, sociaux et culturels dont souffrent les personnes afrodescendantes dans de nombreux pays comme au Brésil, à Cuba, en Colombie, à Haïti et au Honduras. Elle a également reçu des informations sur la discrimination basée sur l’identité culturelle des personnes afrodescendantes comme par exemple le style de coiffure. La Commission souligne la contribution du Rapporteur Spécial à la visibilité du thème de la discrimination systémique contre les afrodescendants dans les Amériques.

Par ailleurs, la Commission a reçu une information inquiétante sur des menaces de meurtres et d’autres violations perpétués par des groupes armés contre des dirigeants de l’Association Nationale d’Afro-colombiens déplacés (AFRODES). Elle a ainsi reçu une information spécifique sur de multiples faits de persécution qui se seraient produits depuis 2009. Au terme d’une visite récemment effectuée en Colombie, la Commission a relevé que le gouvernement avait entrepris une politique pour tenter de résoudre ces situations. Cependant, la Commission a exprimé sa préoccupation quant à l’effectivité limitée de ces mesures en reconnaissant l’existence de problèmes structurels qui génèrent ou exacerbent les violations des droits humains dont souffrent les Afro-colombiens.

Dans un cas spécifique, la CIDH a organisé une audience sur le cas 12.831 (Kevin Cooper), relatif à l’application de la peine de mort dans l’État de Californie, États-Unis d’Amérique. La Commission a reçu un témoignage audio de Kevin Cooper qui se trouve privé de liberté dans le couloir de la mort de la prison de San Quentin depuis 1985. Dans ce témoignage, Cooper a affirmé être innocent et avoir été condamné pour être afro-descendant. Faisant référence à  l’atmosphère de haine raciale lors de son inculpation et de sa condamnation, il a mentionné qu’à cette occasion, une peluche représentant un singe pendu avec un écriteau sur lequel était inscrite une insulte raciale avait été placée face à l’entrée de la Cour. Pour leur part, les plaignants ont évoqué des violations présumées lors du procès et l’absence de défense adéquate ainsi que la présentation de fausses preuves et l’occultation d’informations de la part de l’État permettant de montrer l’innocence de Cooper. Selon ces plaignants, l’État aurait concentré tous ses efforts dans la recompilation de preuves pour impliquer Cooper en ignorant des preuves qui démontraient que les véritables auteurs du délit étaient trois hommes blancs.

Situation des Peuples Autochtones

Au cours des audiences réalisées durant la 149ème période de sessions, la CIDH a été informée de la situation préoccupante des droits humains des peuples autochtones dans différents pays de la région, principalement due à la menace persistante et à l’impact des plans et des projets de développement et d’investissement ainsi que des concessions pour l’extraction des ressources naturelles dans leurs territoires ancestraux ; à la persécution, la stigmatisation et la criminalisation des autorités ancestrales, des dirigeants et dirigeantes autochtones impliqués dans la défense de leurs territoires ; à l’absence de mesures effectives pour la protection des peuples autochtones en situation d’isolement volontaire au Pérou ; à l’impact du conflit armé en Colombie sur les peuples autochtones de ce pays et sur leur situation dans le contexte du processus de paix.

La CIDH a reçu une information des représentants des peuples autochtones du Honduras, d’Équateur et de Colombie sur l’impact des plans et projets de développement, d’investissement et d’exploitation des ressources naturelles sur leurs droits sur la terre, le territoire et les ressources naturelles. En accord avec les  déclarations des dirigeants et des organisations autochtones auprès de la CIDH, des plans et projets (comme les concessions minières, l’exploitation pétrolière, les barrages hydroélectriques, les projets touristiques, l’exploitation forestière ou l’établissement d’aires protégées) sont programmés et lancés sans la réalisation d’une consultation préalable, libre et informée. Une autorité autochtone de la Nationalité Sapara d’Équateur affirme :  « nous ne vivons pas en paix. Ces projets produisent une effet très négatif sur nous ». Parmi les nombreux effets de ces projets relatés auprès de la Commission, on relève une profonde dégradation environnementale, la destruction du territoire ancestral, le déplacement de communautés entières, l’irruption d’acteurs non autochtones dans les territoires, la perturbation des structures d’organisation sociale voire l’extinction physique et culturelle des peuples autochtones concernés.

La CIDH exprime sa profonde préoccupation pour le manque de reconnaissance généralisé des droits territoriaux des peuples autochtones dans la région malgré l’existence de standards interaméricains qui indiquent l’obligation des États membres de l’Organisation des États Américains de veiller au respect et à la garantie des droits des peuples autochtones sur leurs terres ancestrales et les ressources naturelles [ESP]. La CIDH réitère son appel auprès des États pour accomplir de manière effective leurs obligation de consulter et d’obtenir le consentement préalable, libre et informé des peuples autochtones dans les décisions relatives à toute mesure qui les affecte par des processus de bonne foi et culturellement adaptés, suivant ainsi les standards établis par les organes du système interaméricain.

De la même manière, la CIDH se déclare très préoccupée par la coïncidence des propos de représentants de différents peuples autochtones qui se présentent devant la CIDH au cours des audiences qui dénoncent l’existence d’une stratégie de persécution, de stigmatisation et de criminalisation des dirigeants et dirigeantes autochtones visant à les réduire au silence et les effrayer dans leur actions de défense de leurs droits sur la terre, le territoire et les ressources naturelles. Ainsi, la CIDH a reçu des informations sur l’augmentation significative au cours des dernières années du nombre d’assassinats et tentatives d’assassinats de dirigeants et dirigeantes autochtones au Brésil comme mode de représailles à la lutte pour la protection des territoires ancestraux. La CIDH a également été informée de l’assassinat de trois dirigeants de la communauté  San Francisco de Locomapa au Honduras par des personnes armées au service d’une entreprise ; du déplacement de huit dirigeants autochtones ayant reçu des menaces de mort et craignant d’être victimes d’actes de violence similaire. Elle a été informée de la condamnation à 40 ans de prison pour quatre dirigeants autochtones et la publication d’un mandat d’arrêt à l’encontre de 10 autres dirigeants appartenant à 12 communautés maya kaqchikel de San Juan Sacatepequez au Guatemala qui s’opposaient à des activités d’une entreprise de ciment.

Comme l’a déjà signalé la Commission, les agressions, les attaques et les harcèlements à l’encontre des dirigeants autochtones altèrent gravement l’intégrité culturelle, supposent la rupture de la cohésion d’un peuple et d’une communauté organisées pour la défense de leurs droits. En vertu de cela, la CIDH incite les États membres à adopter des mesures de protection spéciale et adaptées pour prévenir ces agressions et ces harcèlements contre les dirigeants, dirigeantes et personnes autochtones. La CIDH exhorte également les États à promouvoir des actions et les mesures nécessaires pour agir avec la diligence appropriée en menant des enquêtes à la suite de ces dénonciations, en sanctionnant les responsables et en portant réparation aux victimes.

En outre, la Commission a reçu une information sur la situation des peuples autochtones en isolement volontaire au Pérou dont les territoires ancestraux seraient menacés par des concessions liées à de futures activités d’extraction des ressources naturelles, en particulier des hydrocarbures ; par la réalisation d’activité de coupe légale et illégale de bois ; et par l’incursion non contrôlée de tiers. Comme l’a signalé la CIDH, de tels faits constituent une menace pour la vie et l’intégrité de ces peuples puisqu’ils favorisent le contact, avec toutes les conséquences que cela implique pour leur santé et leur survie physique et culturelle. Étant donné que ces peuples n’ont pas toujours de défense immunitaire contre les maladies communes, le contact peut occasionner non seulement la perte de leur cosmovision et de leur identité culturelle mais aussi des épidémies qui peuvent causer la disparition de peuples entiers. Ainsi, le respect du principe d’absence de prise de contact s’avère essentiel pour assurer la vigueur de leurs droits fondamentaux dont, entre autres, le droit  à la vie et à l’intégrité, à leurs terres et territoires ancestraux, à la culture et à la santé.

La CIDH se déclare satisfaite de constater que le Pérou compte désormais avec une loi spécifique destinée à protéger les droits des peuples autochtones, la « Loi de protection des peuples autochtones ou originaires en situation d’isolement et en situation de contact initial ». Toutefois, elle fait part de sa préoccupation après avoir reçu une information selon laquelle la dite loi ne serait pas d’une part en accord avec le principe d’intangibilité et de respect d’isolement volontaire et d’autre part, ne s’accompagnerait pas de mécanisme de protection effectif comme par exemples des postes de contrôle, des protocoles d’intervention et de sanction des entrées furtives. La CIDH réitère auprès de l’État péruvien son appel effectué auprès des États membres de la région pour garantir le respect des droits humains des peuples autochtones en isolement volontaire par le biais de mesures concrètes et effectives destinées à protéger juridiquement et de manière effective leurs territoires ancestraux ainsi qu’à s’abstenir de réaliser des actions contraires à leurs droits.

Par ailleurs, les organisations autochtones colombiennes ont informé la CIDH de graves entraves à la vie et l’intégrité physique et culturelles de peuples, de communautés et de personnes autochtones en Colombie qui perdurent et ont faire part de leurs préoccupations au sujet de l’impact des négociations du processus de paix sur leurs droits. Sur ce point, la CIDH a reçu avec une grande satisfaction l’affirmation de l’État colombien selon laquelle la protection des peuples autochtones et la reconnaissance de l’impact du conflit armé sur l’intégrité physique et culturelle des ces peuples constituent un thème prioritaire dans le processus de négociation de la paix. Il a mentionné l’existence de mécanisme de participation de la société civile au processus de paix à travers des tables régionales et la réception de plus de 250 propositions de la part des organisations autochtones du pays.

Si la CIDH considère de manière positive l’information fournie par l’État colombien, elle appelle toutefois à démultiplier les efforts pour protéger la jouissance effective du droit au territoire des peuples autochtones et de leurs membres comme premier pas pour sauvegarder leurs droits les plus fondamentaux dans le cadre du conflit armé interne et dans le processus de paix en Colombie. Il invite l’État à tenir compte de l’importance singulière du droit interaméricain dans la reconnaissance des droits territoriaux des peuples autochtones et du rôle central que les territoires ancestraux jouent dans l’affectation de leurs droits par la violence armée, les intérêts économiques et la dépossession.

(…)

en ce qui concerne la situation des déplacés internes au Mexique, la CIDH a reçu une information concernant l’impact qu’a eu au cours des dernières années la violence liée au crime organisé et la violence entre communautés autochtones dans le déplacement interne forcé. Les organisations autochtones ont énoncé la nécessité pour l’État d’élaborer un diagnostic à l’échelle nationale sur ce phénomène de déplacement interne généré par la violence qui inclue des informations sur les causes mais aussi les municipalités concernées par l’arrivée de déplacés. Elles ont également souligné la nécessité de mettre en place un programme spécifique pour l’attention, la protection et l’assistance aux victimes de déplacement qui soit intégré au Programme de Prévention de la Violence et qui devra s’appliquer à l’échelle fédérale et celle des états.

(…)

D’autre part, une audience sur les droits humains, le développement et l’industrie extractive en Colombie a été organisée. À cette occasion, la CIDH a reçu une information sur d’éventuels effets provoqués par la mise en place de projets de développement, en particulier dans les communautés paysannes, afrodescendantes et autochtones. Ainsi, la CIDH a été informée de l’existence d’une série de mégaprojets en Colombie dont l’impact pourrait affecter les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux. La Commission a reçu des informations sur les effets dérivés de mégaprojets Hidrosogomaso dans le département de Santander et du projet Hidroituango dans celui de Antioquia. Lors de la présentation de ces cas, il a été relevé des manquements dans les processus de sensibilisation et de consultation préalable réalisés auprès des communautés, les actions entreprises par l’État pour assurer leurs droits à l’information et à la participation. Dans le même ordre, la Commission a aussi reçu des informations sur les obstacles qui existeraient en matière d’accès à la justice, à la représentation judiciaire des communautés affectées et l’adoption de mesures adéquates pour garantir leur participation aux processus administratifs et judiciaires qui les concernent. D’autre part, la Commission se déclare préoccupée après avoir reçu des informations relatives à des pratiques supposées de déplacement forcés dans certains territoires où se mettraient en place des projets de développement ainsi que de déplacement de communautés affectées et dans certains cas, des dénonciations sur des faits supposés de violence par la force publique dans le cadre des dits déplacements. Dans ce même cadre, l’information reçue rend également compte d’une situation complexe s’inscrivant dans le cadre d’incidents liés au conflit armé dans les territoires et les communautés qui seraient affectées. Ainsi, la CIDH a reçu une information sur des processus supposés de judiciarisation à l’encontre de dirigeants sociaux, communautaires et des défenseurs de l’environnement qui s’opposeraient à la mise en place de ces mégaprojets et sur la criminalisation supposée de pratiques traditionnelles comme le barequeo (tamisage manuel) et l pêche artisanale par les communautés qui seraient affectées par le conflit.

Le communiqué de presse : [ESP] ; [ENG]

L’annexe au communiqué : [ESP] ; [ENG]

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